Mathématicien, psychologue et chercheur en sciences cognitives, Nicolas Gauvrit défend le bon usage du QI et dénonce les charlatans.

Par Frédéric Lewino, Gwendoline Dos Santos – Le Point – 18 septembre 2019

Nicolas Gauvrit est mathématicien et psychologue, chercheur en sciences cognitives au laboratoire cognitions humaine et artificielle à l’École pratique des hautes études à Paris. Il a dirigé l’ouvrage collectif Des têtes bien faites : défense de l’esprit critique aux éditions PUF. Il s’attaque régulièrement à la « légende noire » des surdoués.

Le Point : Existe-t-il un commerce de l’intelligence, notamment en ce qui concerne la prise en charge des « surdoués »  ?

Nicolas Gauvrit : Indubitablement, le thème de surdoués est tout à fait « juteux ». De bonne foi ou non, beaucoup se sont engouffrés dans ce business, par exemple en victimisant les surdoués (on attribue alors tous les problèmes de la personne à un QI trop élevé, ce qui est très valorisant) ou en identifiant tout patient solvable comme surdoué (si le QI est trop faible, on explique qu’il est sous-estimé à cause d’une anxiété qu’il faut traiter par des programmes onéreux réservés aux plus intelligents). Il y aurait, je pense, une véritable enquête journalistique à faire sur ce business de la douance.

Sans qu’il y ait d’escroquerie, pour le psychologue, les vrais surdoués (car il y a énormément de fausses identifications également) sont des patients de rêve. Leurs capacités intellectuelles leur confèrent des ressources importantes et ils progressent vite en thérapie. L’accompagnement est plus agréable, et l’on peut comprendre que beaucoup aient envie de traiter préférentiellement les personnes à haut potentiel intellectuel.

Est-ce que tous les peuples quantifient l’intelligence ou est-ce une obsession occidentale  ?

C’est essentiellement une obsession occidentale. En particulier parce que d’autres cultures valorisent beaucoup plus l’intelligence émotionnelle, l’entraide ou d’autres qualités. Mais aussi parce que ce qu’on appelle « intelligence » varie d’une culture à l’autre. Un collègue praticien me disait qu’il était impossible de faire passer des tests d’intelligence dans certains pays africains parce que les personnes sont tellement loin de notre mode de pensée qu’elles ne comprennent pas pourquoi elles devraient répéter des suites de cinq lettres ou résoudre des problèmes arithmétiques absurdes et ne répondent tout simplement pas. Pour des raisons culturelles, les tests sont inutilisables là-bas.

Quelles corrélations peut-on établir avec le bonheur, la réussite, la fortune, la mortalité  ?

Un QI plus élevé est statistiquement (légèrement) lié à moins de mortalité, plus de réussite professionnelle, une meilleure satisfaction au travail et des revenus plus élevés. Ces corrélations sont faibles, mais bien établies.

Quelle part la génétique occupe-t-elle dans le QI  ?

La génétique explique plus de la moitié des variations de QI, ce qui ne veut pas dire grand-chose de concret, mais disons que le facteur génétique est important (même s’il n’explique, certes, pas tout). On n’a pas identifié de gène de l’intelligence en particulier, mais on sait que le QI est en grande partie héritable. Les études sur la question sont si nombreuses qu’il n’y a plus de doute sur ce résultat.

Quelle est votre définition de l’intelligence  ?

Si l’on parle de l’intelligence au sens du QI, je dirais que c’est une mesure très générale de l’efficacité du fonctionnement mental (cognitif) d’une personne.

Cependant, dans un sens plus courant, l’intelligence serait plutôt la capacité d’adaptation à des situations nouvelles. Dans ce sens, elle engloberait alors une partie d’intelligence émotionnelle, de compréhension sociale et de créativité, en plus de l’efficacité cognitive.

Le quotient intellectuel matérialisé par un chiffre a-t-il une signification en lui-même  ? Faut-il, en fait, l’intégrer dans un bilan psychologique  ?

En clinique, lorsque l’on peut obtenir un score de QI qui a un sens (car la passation n’est pas toujours facile ou des difficultés psychologiques peuvent rendre le test inutilisable), celui-ci a un sens. Il permet de savoir où se situe globalement un individu par rapport aux autres au niveau cognitif. Il n’a pas toujours de sens et il ne faut certainement pas toujours l’intégrer dans un bilan psychologique. Il est surtout utile quand un tableau clinique pourrait s’expliquer par une défaillance générale ou pas. Par exemple, on fait la différence entre une personne avec un retard mental (QI faible) et qui, pour cette raison, a du mal à lire et une personne dyslexique avec un QI moyen ou supérieur. Cela influence ce qu’on peut envisager comme accompagnement.

Le QI reste-t-il le même tout au long de la vie  ?

Il est statistiquement très stable à partir de l’adolescence. Cela veut dire qu’en général il ne varie pas beaucoup, mais il y a des cas particuliers qui peuvent correspondre à des traumatismes, des maladies mentales ou autres.

En quelles circonstances l’établissement du QI est-il utile chez l’adulte  ? En quoi un bilan d’intelligence peut-il aider  ?

Cela peut permettre à certains adultes d’être rassurés sur leurs capacités. Dans le cas des adultes ayant un QI élevé, notamment les adultes à haut potentiel intellectuel (QI de 130 ou plus), cela peut dans certains cas expliquer un sentiment de décalage qu’ils ont toujours ressenti sans le comprendre. Dans le cas de maladies neurodégénératives, cela donne aussi une mesure objective de l’évolution des troubles. Si l’on va un peu plus loin que le seul QI total (ce que permettent les tests), on peut également, pour les enfants comme pour les adultes, avoir une idée plus précise du fonctionnement mental, connaître les points forts et les points faibles et ainsi trouver des stratégies d’adaptation.

Que faut-il penser des tests proposés sur le Web  ?

On peut s’en méfier, car ils ne sont en général pas étalonnés. Cependant, ils ressemblent assez souvent aux véritables tests, vus de loin.

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