L’observation d’enfants en situation d’échec scolaire et/ou social malgré une intelligence très élevée a conduit Véronique DUFOUR à formuler la question suivante: “en quoi des capacités intellectuelles peuvent-elles participer de façon spécifique à un processus d’inadaptation ?” Elle a répondu à cette question dans le cadre d’une thèse présentée pour l’obtention du doctorat en psychologie clinique, pathologique et psychanalytique.

L’Institut BEAULIEU, situé à Salies de Béarn dans les Pyrénées Atlantiques, a été ouvert en 1954. C’est un internat destiné à recevoir des enfants qui ont de graves difficultés d’adaptation. Il y a quatre classes pour soixante enfants au total. C’est le seul établissement de ce type en France où la découverte d’enfants au Q.I. élevé a conduit à des actions spécifiques. Malgré des résultats spectaculaires, les responsables ont du mal à faire partager leur enthousiasme. Il est à noter que les enfants au Q.I. très élevé (plus de 140) y sont statistiquement sur représentés.

Véronique DUFOUR a constitué à l’Institut BEAULIEU deux échantillons aussi proches que possible du point de vue de l’âge. Chacun comprenait six garçons et trois filles. Dans un groupe, les enfants avaient un Q.I. de 95 à 106, et dans l’autre de 130 à 139. Dès le début, on remarquait la plus grande ancienneté dans l’établissement des enfants du groupe de Q.I. élevé. Chaque enfant a participé à deux entretiens. Une attention particulière a été apportée à la motivation et à la mise à l’aise. Les enfants ont eu à passer le test du D.P.I. (Dynamique Personnelle et Image) et à répondre à un questionnaire.

Le test du D.P.I. permet d’évaluer l’image qu’un enfant a de lui-même, de ses parents et de sa façon d’aborder une tâche. Je cite Véronique DUFOUR :
“Le D.P.I. est une épreuve projective thématique. On demande au sujet de raconter des histoires à propos de dessins montrant des personnages engagés dans divers types de situations et d’activités. C’est une épreuve utilisée dans un but d’examen clinique individuel, à la façon d’un T.A.T. (Thematic Aperception Test). La version complète comporte 24 planches, applicables en deux séances de 30 à 50 minutes chacune, espacées d’au moins 24 heures. Cette épreuve répond aux deux principes suivants :
– montrer un personnage engagé dans une situation ou activité qui met à l’épreuve ses capacités de réaction adaptée en face d’une difficulté, son désir d’entreprendre et de réussir, de développer une entreprise, ses attitudes face à la réussite et l’échec.
– montrer un personnage engagé dans une relation à autrui où entrent en jeu diverses modalités de relations inter-personnelles, et où sont recherchées, au delà de ces relations, les images de soi et d’autrui.”

Dans l’expérience, l’épreuve a été réduite à 18 planches, en deux séries de 11 et 7 planches et l’ordre a été changé.

Quant au thème du questionnaire, il s’agissait de l’intelligence “très très” élevée. Chaque enfant avait à choisir une photo d’enfant de même sexe que lui. Il lui était dit que l’enfant sur la photo était “très très” intelligent, qu’il comprend tout plus vite et mieux que les autres enfants, et même, parfois, que le maître. Puis des questions étaient posées, et à chaque réponse, la question “Pourquoi?” était demandée. Voici quelques exemples des 33 questions :

  • Aimerais-tu être son ami[e] ?
  • Penses-tu qu’il [ou elle] préférerait être moyennement intelligent[e] ?
  • Est-ce que tu penses que tu lui ressembles ?
  • Est-ce que tu aimerais lui ressembler ?
  • Peux-tu imaginer ce qu’il [ou elle] voudra faire plus tard ?

Les résultats, en ce qui concerne l’image de soi, montrent pour les enfants de Q.I. élevé un héros “bloqué”, dont les difficultés semblent internes, même si une cause externe peut être invoquée. Ce n’est pas le cas des enfants de Q.I. moyen pour qui la solitude du héros n’est pas un obstacle. Une des leçons est qu’il y a lieu d’être attentif à la position d’un enfant surdoué sur la solitude, cela indépendamment du fait qu’il soit perçu ou non comme solitaire.

C’est au sujet de l’image du père que les résultats sont les plus surprenants et les plus notables. Dans le groupe des enfants de Q.I. moyen, elle n’est jamais totalement négative. Dans le groupe des enfants de Q.I. élevé, les récits du D.P.I. reflètent des images presque seulement négatives, bien que les relations réelles avec les pères soient connues pour être bonnes! Le père du héros est souvent faible, autoritaire, il n’y a pas en général d’échange entre lui et l’enfant. Celui-ci se trouve en difficulté narcissique et on note une certaine confusion identificatoire. Quant à l’image de la mère, les différences entre les deux groupes ne sont pas flagrantes.

Au sujet de la thématique d’entreprise, il est à noter que la tâche manuelle est positive et rassurante pour les deux groupes, ce qui est important pour les enfants de Q.I. élevé, pour qui aucune autre situation n’est aussi favorable.

Ce n’est pas une surprise, c’est le groupe des enfants de Q.I. élevé qui évoque les difficultés relationnelles liées à une intelligence “très très” élevée, alors que le groupe des enfants de Q.I. moyen l’assimile à la réussite et à la liberté. Il est à signaler que le groupe des enfants de Q.I. élevé pense que ce que le héros “très très” intelligent a de moins bien que les autres, c’est le sport, alors qu’aucun enfant du groupe de Q.I. moyen ne l’a évoqué. Voilà encore un résultat surprenant, car on pratique beaucoup de sports à l’Institut BEAULIEU, et le groupe d’enfants de Q.I. élevé n’y est pas mauvais.

En conclusion, les résultats de l’enquête de Véronique DUFOUR alimentent l’hypothèse d’un rapport particulier entre intelligence élevée et inadaptation.